Thèse. Une sociologie de la co-existence en contexte de "revitalisation urbaine". Analyse des effets sociaux de la programmation de la mixité sociale dans le territoire du canal à Bruxelles
Emmanuelle Lenel a soutenu sa thèse, en privé, le 4 mars 2016. Elle a présenté sa leçon publique le 25 mars 2016.
Composition du jury
Jean-Pierre Delchambre (Université Saint-Louis - Bruxelles), co-promoteur
Christine Schaut (Université Saint-Louis - Bruxelles-B et Univesité Libre de Bruxelles), co-promoteur
Michel Hubert (Université Saint-Louis - Bruxelles), président du jury
Eric Charmes (Université de Lyon)
Amélie Flamand (Ecole nationale supérieure d'architecture de Clermont-Ferrand)
Pierre Lannoy (Université libre de Bruxelles)
Résumé de la thèse
Au départ d’un objet politique, cette thèse construit la mixité sociale comme un objet de recherche pour les sciences sociales et étudie les effets sociaux induits par sa programmation dans le territoire du canal à Bruxelles. Elle propose une sociologie de la co-existence dans les espaces urbains transformés par celle-ci, qui prend au sérieux les rapports ordinaires que les résidents entretiennent avec ces espaces et avec l’autre dans ces espaces. Après un cadrage théorique du regain d’intérêt pour la mixité sociale dans les politiques urbaines contemporaines en Europe de l’Ouest, la thèse met en lumière les principes normatifs généraux et les enjeux plus spécifiques auxquels la programmation de la mixité sociale tente de répondre dans le territoire du canal, et avec quels instruments. Cette analyse est complétée par une revue de la littérature sur le relatif échec de cette programmation en regard des objectifs annoncés. Ensuite, en montrant les limites des analyses en termes d’« effets pervers », elle développe une approche critique alternative visant à confronter des principes normatifs à une réalité sociale. La question posée est la suivante : comment le formatage d’« espaces d’hétérogénéité sociale programmée » contribue à produire, en articulation avec d’autres logiques, des formes sociales spécifiques ? Et quelles sont ces formes ? Cette approche articule — plutôt qu’elle n’oppose — des lectures pragmatistes de la ville (celle de I. Joseph en particulier) et des lectures structurelles (celles de H. Lefebvre et de J. Remy), autour notamment d’une conception plus symbolique de l’institution, pour interroger les rapports à l’espace dans leurs dimensions tant sociales que pratiques et vécues. Elle permet en outre de sonder les jeux d’échelles micro/macro au travers desquels opère la médiation de la ville dans les processus de co-existence étudiés. Le matériau empirique, collecté au cours d’enquêtes de terrain et de parcours commentés avec les résidents, est présenté au travers de trois monographies de quartier, dans chacune desquelles est élaborée une configuration socio-spatiale de co-existence. Chaque configuration montre des rapports spécifiques entre des groupes d’ « anciens » et de « nouveaux » résidents, noués autour d’un différentiel de pouvoir dans la gestion des rapports à l’autre. La thèse suggère que cette tension, fondée sur la mobilité éprouvée, prend des formes particulières selon la restructuration spatiale et sociale du quartier. Pour terminer, un focus sur les « nouveaux propriétaires » permet d’interroger leurs aptitudes spécifiques dans la gestion de la co-existence. Trois modalités idéal-typiques de gestion — « détachée », « ancrée » et « fuyante » — éclairent, d’une part, la façon dont la programmation de la mixité sociale contribue à la diversité des pratiques au sein d’une population homogénéisée dans la littérature. Elles présentent des façons typiques de se saisir du monde environnent, matériel et humain, pour gérer les rapports à l’autre, qui renvoie à des situations dispositives où les dispositions de ces individus à la mobilité, à la réserve et à la tolérance sont variablement réalisées selon des conditions plus locales. Ces trois modalités montrent, d’autre part, que les principes normatifs et idéologiques inscrits dans la matérialité des espaces ciblés leur octroient aussi un pouvoir particulier, celui d’en faire des supports d’engagement et de désengagement dans la co-existence, et ainsi garder la maîtrise de leur existence.